93, La belle rebelle_Extraits Critiques
93, La belle rebelle_Extraits Critiques

Pourquoi avoir choisi le 93 comme sujet de votre film plutôt qu’un autre département ? En quoi est-il si pertinent et symbolique ?

D’une part, pour le rap : c’est l’un des hauts lieux incontournables de l’émergence de cette musique . Kool Shen et Joey Starr ont toujours été mes «», je leur dois beaucoup. Déjà à l’époque de Faire kiffer les anges (1996), le film s'ouvrait sur «'est ce qu'on attend pour foutre le feu?». Ca faisait longtemps que j'avais envie de mettre le hip-hop en perspective, de l'inscrire dans une histoire et de remonter aux sources du rap. Pour moi, le 93 c'est la quintessence de la banlieue. Il était important de s'ancrer dans un territoire particulier pour évoquer une problématique universelle. Il y a dans ce département une énergie qui s'oppose complètement au discours dominant du gouvernement pour qui banlieue égal «» ou «jeunesse oisive qui tient le mur». J'en ai vraiment ras-le-bol  de cette image stigmatisante.


Que voulez-vous raconter avec ce film ?

Ce film est construit comme des strates successives. Je voulais montrer comment chaque époque récupère des signes de la précédente. Je trouve intéressant de voir Casey et Zone libre travailler ensemble pour retrouver une rage et une énergie que le rap et le rock semblent avoir un peu perdu à leurs yeux. Ils appartiennent à deux mouvements qui se sont longtemps fait la guerre et pourtant, ils dépassent toutes ces contradictions pour créer quelque chose de neuf. C’est très vivifiant. C’est, entre autres, ce brassage culturel que je voulais exposer. J’avais pour ambition de montrer comment tous ces courants musicaux se sont emboîtés et ont pris aux uns et aux autres.


Existe-t-il un lien à vos yeux, entre vos récents documentaires sur le hip-hop et vos films tournés il y a une trentaine d’années sur les luttes ouvrières dans les usines ?

C’est, en réalité, le prolongement d’une même histoire. Et que des gens issus du milieu hip-hop me le rappellent, cela me touche beaucoup; Je pense notamment à D’de Kabal qui, dans les cadres de l’université hip-hop mobile (évènement annuel présenté comme un «espace de rencontres, de recherches et de transmission» NDR), m’a sollicité pour évoquer non pas mes films sur le break mais Dos au mur (documentaire réalisé en 1979 sur la grève et l'occupation de l'usine Alsthom de Saint-Ouen dans laquelle il avait travaillé NDR). Il m'a confié alors : «C’est important de parler de ça, car c’est l’histoire de nos parents».

Pourquoi cette reconnaissance est-elle si importante ?

Je suis de la génération 68, j’avais 20 ans à l’époque. Mes premiers films, je les tourne avec l’espoir de faire la révolution, de changer cette société décidément trop injuste. Ensuite je suis parti travailler en usine pendant 8 ans, où j’ai mené de nombreuses luttes syndicales. Mais, là-bas, j’ai fait progressivement le constat de mon impuissance. A l’époque, le film Dos au mur n’intéressait pas les comités d’entreprise. Eux, ce qu’ils voulaient comme vidéos, c’était Holiday on Ice et des pornos. Si à  un moment donné, le seul modèle pour le mouvement ouvrier est de reproduire la société bourgeoise, cela n’a rien de brillant. Après ça, je ne savais plus vraiment ce que je devais faire, j’étais à un stade de ma vie où je remettais beaucoup en question le sens et l’utilité de mon engagement. Heureusement, j’ai rencontré le hip-hop…

Qu’est ce que cette rencontre a signifié pour vous ?

J’avais en face de moi les enfants des ouvriers avec qui je travaillais avant, une jeunesse qui ruait dans les brancards, qui refusait de marcher au pas, qui s’émancipait au travers de textes forts. Une créativité vibrante… C’était désormais là que ça se passait. D’où mon intérêt croissant et mes premiers films sur le sujet. J’ai donc abordé la hip-hop par le biais de la danse.

Une révolte authentique, pourquoi pas le rap ?

J’en avais envie, mais cela me paraissait plus difficile du fait de son formatage par l’industrie, des enjeux autour de certains artistes : tous ces trucs assez chiants… Je ne savais pas par quel bout le prendre, je cherchais l’histoire à raconter autour de cette musique. Et c’est le film 93 la belle rebelle  qui m'en a donné l'opportunité. C'était l'occasion de rentrer en contact avec des artistes que j'admire pour leur investissement dans ce mouvement : Casey, D’ de Kabal, Grand Corps Malade, Bams, Abd El Haq de Spoke Orkestra… Autant de gens qui sont dans la même révolte que moi et qui cherchent sans cesse des moyens d’expression alternatifs. A mes yeux, ils sont bien plus des militants que ceux que tu trouves au sein des partis politiques.

Entretien avec Jean-Pierre Thorn

( Rap Mag : novembre 2010)

PROPOS DU RÉALISATEUR