Les trois soeurs du Yunnan_Extraits critique
Jeanne et le garçon formidable_Extraits critiques

Bertrand Amice : « Comment est venue l’envie de faire une comédie musicale sur un sujet aussi grave que celui du SIDA ? » 

Jacques Martineau : “L’envie de départ, c’était une comédie musicale, c’est sûr, et quand je me suis trouvé à la phase de l'écriture, c’est ce sujet-là qui m’est venu. Donc après, le mélange entre la forme et ce que ça raconte, ce n’était pas calculé, plutôt très impulsif. En l’écrivant, ça m'a paru être une bonne idée. Et, c’est vrai que la comédie musicale, ça permet un traitement assez particulier du sujet.”

 

Bertrand Amice : « En fait, vous avez été inspirés par les comédies musicales de Jacques Demy. Ça fait partie un petit peu de vos passions cinéphiliques au niveau de la comédie musicale, n’est-ce pas? » 

Olivier Ducastel : “Oui, ça fait partie de notre culture, effectivement, cinématographique à tous les deux. Donc, que ça soit au moment de l’écriture, dans la préparation enfin, il y a un courant Demy qui nous a portés. En même temps, je crois que le fait que Mathieu Demy soit dans le film, ça indique clairement comme ça cette admiration. Et puis, aussi le plaisir que pouvait montrer notre amour des films de Jacques Demy. En même temps, c’est vrai que dans le concret du travail, en faisant le film, que ça soit de travailler avec Philippe Miller (le compositeur musical) -qui se démarque vraiment de ce que pouvait faire Michel Legrand dans les films de Demy-, que ce soit le travail avec la chorégraphie, la danse contemporaine ou même la façon dont on a joué avec les décors naturels et les choses un petit peu plus élaborées, enfin imaginées... Je crois que dans la fabrication du film, c’est vrai qu’on a un petit peu essayé d’oublier effectivement notre amour des films de Jacques Demy pour essayer de trouver une voie, comment dire... le déclic premier. L’étincelle vient de là c’est sûr.

 

Est-ce qu'il y a du Jacques Demy dans le film ???

Oui... L'univers de Jacques Demy transpire dans cette comédie musicale, et pas seulement parce que c'est une comédie musicale. Des Parapluies de Cherbourg : on retrouve le drame sous-jacent (en 64 l'Algérie, en 98 le SIDA), les personnages issus du milieu ouvrier et commerçant, le personnage principal est jeune et féminin, et surtout la scène finale est un travelling arrière (quai de gare en 64, cimetière en 98).  Des Demoiselles de Rochefort, il y a les forains qu'on transforme en ballet de balayeurs, les interludes qui n'ont rien à voir avec le sujet (en 67 un crime, en 98 une ode à la consommation), les décors ultra-colorés. Et puis ce chassé-croisé entre Bonnaffé et Ledoyen qui ne savent pas qu'ils ont un ami commun.

 

Dans tous les cas, la morale est la même : la quête de l'amour absolu et idéal, et surtout l'argent ne fait pas le bonheur et n'achète pas l'amour.

Quelques variantes dues à notre époque : le sexe est crûment montré, et le langage est direct. On parle de cul comme les homos en parlent : de façon franche et imagée.

On montre les corps à la manière des pubs pour sous-vêtements. Il ne manque plus que la capote, la grande arlésienne du film.

Bertrand Amice : « On sent très bien qu’il y a une très bonne synchronisation avec les chansons. De plus, le personnage de Jeanne est très insouciant. Pourquoi est-elle aussi impulsive ? Pour donner plus de rythmes par rapport au chant ? » 

Jacques Martineau : “Pas directement, mais effectivement Jeanne, c’est le personnage qui porte la comédie musicale. Il y a neuf chansons, elle danse tout le temps, les autres personnages ont au maximum deux chansons. Elle a un peu l’esprit de la comédie musicale, donc c’est vrai, elle a une psychologie, une fraîcheur, une puissance de vie comme ça comme dans une comédie musicale, très impulsive, quand elle veut danser, elle danse. C’était l’idée de prendre une très jeune fille qui va être confrontée à la maladie alors qu’elle n’est pas préparée à ça, et c’était ça qu’on avait envie de travailler et montrer. Disons, un personnage naïf mais au sens plein du terme. C’est quelqu’un qui n’a pas intégré encore dans son vécu la possibilité qu’elle pourrait se retrouver confrontée à quelqu’un qui est malade...

 

 Bertrand Amice : « Il y a aussi d’autres thèmes actuels qui sont abordés : l’immigration, le chômage, le crédit des ménages... Est-ce que c’était important pour vous de l’évoquer à travers une comédie musicale ? » 

Jacques Martineau : « ça renvoie à la question des sans-papiers longuement débattue. Au départ, c’était plutôt une chanson sur la question du droit du sol et du sang. Il se trouve que la législation a changé entre temps. Entre le moment où on a filmé et aujourd’hui, eh bien ! les enfants d’immigrés nés en France sont français. Ce qui n’était pas le cas au moment où on a écrit la chanson et au moment où on a tourné le film. Tant mieux. Oui, c’était important, pas sur le mode de : il faut décliner tous les petits problèmes de la société pour qu’on se rende bien compte qu’on est des cinéastes de notre temps. Ce n’est pas cela. C’est plutôt, effectivement, parce que c’est une comédie musicale, donc a priori un genre hors du réel, comme ça dans la fantaisie, de mettre en permanence en présence cette question sociale qui pèse, et qu’effectivement quand on croise des employés de nettoyage qui sont majoritairement des immigrés. Généralement, on oublie ce genre de question. Eh bien ! là, on ne l’oublie pas parce qu’elle traverse le personnage de Jeanne, elle traverse le hall où les employés font le ménage, elle danse avec eux et parle de leurs problèmes.

C’était l’idée que ces personnages secondaires, pendant l’espace d’une chanson, on leur donne une voix, une parole qui est plein écran devant tout le monde. Je ne considère pas comme des manifestes montrer une façon de ponctuer le film en disant :”Voilà, on traverse la société et il y a quand même des tas de problèmes de tous les côtés. Et vraiment, ils devraient surgir un peu plus qu’ils ne surgissent”. Généralement surtout dans les films. Puis après, c’est aussi des désirs de parler de ces choses-là effectivement.”

Écran Noir 

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