Le mot du président
Le mot du président
Association Pierre Chaussin

Rapport moral de Félix

A.G. du 03 mars 2020


J’avais évoqué ici-même il y a deux ans, après ce qu’on a appelé l’affaire Harvey Weinstein, du nom de ce producteur de cinéma américain, l’existence de 2 associations : « le deuxième regard » et « le collectif 5050 pour 2020 », qui existaient depuis peu de temps alors et dont l’objectif est de militer pour l’égalité femmes-hommes dans le milieu du 7ème art.


Un nombre important d’actrices, souvent très jeunes avaient enfin parlé, notamment aux États Unis et avaient dénoncé les harcèlements, voire les agressions sexuelles dont elles avaient été l’objet de la part de ce producteur richissime et omnipotent, réputé intouchable. Un vaste mouvement de protestation via internet avec « me-too », « balance ton porc », « time’s info » s’est développé dans de nombreux pays. Aujourd’hui Harvey Weinstein est en train d’être jugé.


Depuis novembre, c’est en France que s’est déplacée cette triste actualité dans le cinéma, avec les révélations de l’actrice Adèle Haenel, accusant le réalisateur Christophe RUGGIA « d’attouchements répétés » sur sa personne pendant une longue période.


Enfin la récente 45ème cérémonie des Césars, créée en 1975, a été une exceptionnelle occasion de mettre en lumière à nouveau, la situation des femmes dans le cinéma en général et singulièrement en France. Ce fut une déflagration, notamment avec la nomination 12 fois, du film de Roman POLANSKI « J’accuse », accusé par 12 femmes – dont une jeune fille de 14 ans – d’agressions sexuelles.


Je ne me permettrais pas ici, en ma qualité de président de l’association de trancher le débat suivant :


Fallait-il ou non décerner les trois prix : 1/meilleure réalisation – 2/meilleure adaptation 3/ meilleurs costumes-à un réalisateur reconnu comme agresseur sexuel ?


Ce comportement met-il en cause la qualité de son film, de sa création (à laquelle d’ailleurs beaucoup d’autres personnes ont participé)


Peut-on distinguer l’œuvre, indépendamment de son auteur, comme on a pu le dire pour CELINE par exemple ?


N’aurait-il pas été plus sage et plus habile d’éviter de mettre ce film en compétition ?


Autant de questions qui appellent réflexion, discussion, échange, débat, écoute et qui n’empêchent nullement, bien au contraire, de poursuivre cet immense et indispensable combat pour l’égalité femmes – hommes dans le cinéma (et ailleurs !!)


Qu’en est-il actuellement concrètement ?


Concernant l’institution créée en 1975 par Georges CRAVENNE, l’académie des Césars, elle a implosé définitivement ce dernier vendredi. On se souvient que le refus de laisser Virginie DESPENTES et Claire DENIS, marrainer un jeune talent lors de la cérémonie des révélations des Césars à la mi-janvier, avait déjà allumé une étincelle. Sous le feu des critiques Alain TERZIAN, président depuis 2003 (!) de l’APC (Association pour la Promotion du cinéma) qui régit les Césars, pointé du doigt pour sa gestion autoritaire, avait été contraint de lever un coin du voile sur son fonctionnement. On a alors appris que sur 4700 votants aux Césars, seuls 35% sont des femmes, tout comme 17% des 47 membres du C.A. Il promet alors la parité, mais à ce moment-là, il est trop tard ; la fronde importante et publique qui s’est organisée, le contraint à démissionner avec l’ensemble du C.A. C’est pêle-mêle l’autoritarisme, le manque de transparence, la non-représentation des minorités (pas ou peu d’acteurs de couleurs par exemple) qui sont mis en cause mais aussi et surtout la sous-représentation manifeste des femmes.

Cependant, au-delà de cette institution, c’est la situation des femmes dans le cinéma qui est dénoncée depuis, avec plus de vigueur par les associations dont j’ai parlé.


Selon le collectif 50 – 50, les écarts de salaires horaires sont de moins 9% pour les actrices, moins 19% pour les preneuses de vues, moins 38% pour les administratives et les chargées de productions et jusqu’à moins 42% pour les réalisatrices.


Depuis 1976, seules 2% des femmes ont été « césarisées ». Les réalisatrices sont cantonnées aux plus petits budgets : plus ils augmentent, moins elles sont présentes. Elles disparaissent même au-dessus de 20 millions.


Bérénice VINCENT, cofondatrice du « 2ème Regard » et porte-parole du collectif « 50-50 pour 2020 » écrit :

« Tout ne se chiffre pas : l’autocensure, le fait d’aller vers des projets plus ambitieux financièrement quand on est un homme…si on prend l’exemple de la FEMIS (école de cinéma) on constate une belle parité parmi les élèves…qui disparaît ensuite… »


Elle poursuit :

« On a peur de laisser un gros budget à une femme, ou de la laisser diriger un tournage, sur la base d’un stéréotype de genre. Les inégalités sont liées à un faisceau de causes ».


En France les femmes représentent 23% de réalisatrices contre 6 à 7% aux Etats Unis (financements privés). Ces chiffres restent pratiquement les mêmes depuis des années !


-Sait-on par exemple, comme le déplore Fatima BENOMAR concernant les Césars qu’il existe la catégorie « meilleure actrice » mais pas celle de « meilleure réalisatrice » ? N’est-ce pas hautement révélateur ?


Concernant « le harcèlement et agressions sexuelles », le collectif organise à partir de demain les premiers états généraux.


On peut constater que ces mouvements dans le cinéma sont salutaires puisqu’ils ont permis de révéler des pratiques de même genre ailleurs, notamment dans des fédérations sportives. Elles ont permis aussi de dénoncer enfin des comportements jusque- là « admis » dans des créations littéraires : pensons au prédateur Gabriel MATZNEFF.


Le travail et la prise de conscience ne font que commencer. Tout le monde est concerné.


Bérénice VINCENT insiste : « Les hommes peuvent et doivent faire bouger les lignes ».


Pourra-t-on se priver encore longtemps de l’effort créatif de 50% de l’humanité ?


La question de la place des femmes dans le cinéma, à tous les niveaux, ne saurait s’arrêter à la prise de parole salutaire de celles qui ont le courage de dénoncer les abus, les harcèlements, les viols. Elle doit être aussi une révolution du regard et de la création.


Qu’on observe nos projections passées et à venir, on constatera que c’est ce que tente de mettre en évidence, modestement, l’association Pierre CHAUSSIN dans le cadre d’une programmation réfléchie et militante.

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