Propos du réalisateur
« Mon film parle de la solitude de notre époque »
« Le film a été beaucoup nourri par la personnalité de Vincent, même s'il est par certains aspects très différent dans la vie, mais aussi par mon propre rapport aux femmes et aux filles lorsque j'étais plus jeune. Au fond, ce film est un peu le résultat de quinze ans de malentendus et d'incompréhensions tragicomiques avec les femmes. Mais j'ai mis autant de moi dans le personnage de Sylvain que dans le personnage de Gilles, le gendarme. C'est un film dans lequel je me suis efforcé d'aimer tous mes personnages.
J'ai découvert Ault par hasard il y a cinq ans, ce lieu m'a tellement touché que j'ai écrit les deux films en sachant que j'allais y tourner, en me nourrissant de son atmosphère, de sa topographie, et évidemment des gens qui y vivent. Car un lieu, ce ne sont pas que des paysages, ce sont aussi les gens qui y habitent. Et, dès le départ, j'ai eu le désir de les faire participer au film. lls m'ont très bien accueilli, c'était la première fois qu'un tournage se déroulait dans leur ville. Ce qui était très beau, c'est que d'une certaine façon, eux et moi, on découvrait le cinéma ensemble. Beaucoup d'entre eux jouent dans le film, à vrai dire tous les personnages secondaires sont interprétés par les habitants dans leur propre rôle.
Au-delà des cinéastes qui m'ont nourri, comme Pialat, Rohmer, Rozier, ou plus récemment James Gray ou Judd Apatow, j'aime les films qui s'efforcent de capter la vie, qui réussissent à injecter du rire et de la légèreté dans des récits graves. J'aime le cinéma qui explore le sentiment amoureux.
Ces références me touchent et me flattent évidemment. J'ai néanmoins l'impression que mes films développent un univers qui m'est propre. Et même, s'il y a effectivement des échos avec leurs films, il me semble que les miens sont assez différents, tant dans l'écriture, que dans la forme.
Je sens autour de moi émerger une génération de réalisateurs et de comédiens très libres, et allergiques à tout formatage. »
Next Libération (14/02/2012)
« Quand je vois des films en numérique au cinéma, même si parmi ces films il y en a que j’aime beaucoup, je n’arrive pas à ressentir la même émotion qu’avec la pellicule. C’est bien sûr en partie parce que je suis venu au cinéma avec le 35mm. Là dans ce café, je ne vois pas les gens en numérique, je les vois plutôt en pellicule. C’est un peu effrayant parce que la manière que j’ai de filmer, très frontalement, sans effet de profondeur de champ, se prête assez mal au numérique. Je pense que pour capter une poésie des choses ordinaires, la pellicule est très belle, elle transcende chimiquement les choses, tandis que le numérique a tendance à copier plus platement. J’ai l’impression que, pour mon univers en tout cas, c’est plus compliqué. Je n’ai jamais tourné en numérique mais je vais bientôt être obligé de le faire, avec tous ces laboratoires qui ferment… Je trouve tout simplement que le numérique, c’est moins beau, qu’il y a une perte. Une autre chose que j’observe, c’est que le travail des acteurs avec la pellicule déplace l’exigence de vérité et de réalisme. D’une manière générale, sans doute que les acteurs sont plus vrais avec le numérique, parce qu’on tourne non stop pour attraper plus de choses et à la fois je trouve qu’on arrive à une sorte de nouvelle forme de standardisation dans la façon de parler en semi-improvisation, ce qui donne des scènes moins tenues. On s’habitue presque à la roue libre. La pellicule permet de resserrer les scènes. Et puis avec le numérique, qui privilégie souvent un montage un peu cut, avec des moments de vérité ici ou là, on perd un peu, je trouve, la notion de durée, de ce qu’est un plan. ..
Quand j’étais étudiant, il n’y a pas si longtemps, dans les facs et les écoles, il y avait souvent des ciné-clubs qui projetaient des films en 35mm. Aujourd’hui, évidemment, ils ne vont pas s’équiper avec un projecteur 2K ou 4K qui coûte 100 ou 200 000 euros. Du coup les films sont projetés en DVD… C’est un énorme recul. Le cinéma est cantonné dans les salles de cinéma bien équipées, c’est dommage. À Ault on a organisé une projection dans la salle des fêtes en 35mm et on sentait bien ce que ça produisait sur les spectateurs : ils étaient conscient d’une forme de magie. »
Propos recueillis par Arnaud Hallet le 5/02/2012
Revue Zinzolin