08-03- Assaut Extraits critiques

RENCONTRE AVEC LE RÉALISATEURS

Le  MONDE


à peine débarqué de quatorze heures de vol, suivies d'une descente quelque peu chaotique dans le RER B, le cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov, de passage à Paris pour la sortie conjuguée d'Assaut et de L’éducation d’Ademoka, accuse le coup mais tient ferme face aux questions des journalistes. D'allure discrète, le visage juvénile recouvert d'un voile de mélancolie songeuse, l'artiste, âgé de 40, ne s'en laisse pas conter et décoche des réponses brèves mais sûres. (.)


Avec ses polars à contre-courant (A Dark, Dark Man, en, Assaut ou Goliath, en), ses fables philosophiques (La Tendre indifférence du monde, L’éducation d’Ademoka), Yerzhanov entretient un rapport plutôt retors au cinéma de genre. «me suis beaucoup inspiré du genre néonoir français, par exemple les films de Jean-Pierre Melville, confie le réalisateur. En faisant un film, il m’importe de poser un territoire, c’est-à-dire un espace avec des clichés. Pourquoi partir de clichés? Parce que l’on peut aller très loin dans la négativité: on peut façonner des personnages obscurs, des antihéros complexes et torturés. J’exprime une vision pessimiste sans pour autant céder à l’outrage, à l’exagération. La noirceur appartient au drame, et en celui-ci réside l’expression de la beauté.»

Touche singulière du cinéma de Yerzhanov, la noirceur y est constamment contrebalancée par un humour bouffon et des personnages magistralement incompétents, des idiots magnifiques. «’humour est pour moi très important, précise le cinéaste. C’est lui qui peut encore sauver un monde au bord du chaos.N’importe quelle situation quotidienne peut se traduire en termes d’absurdité, et je tiens à souligner cette part ironique de la vie.idiots qui peuplent mes films renferment une certaine noblesse morale, poursuit-il. à l'exemple du Falstaff de Shakespeare, ce genre de personnage m’aide à rendre mon cinéma plus simple, plus accessible.»

En un peu plus de dix ans d’activité, Yerzhanov a atteint une cadence de tournage exceptionnelle – plus d’un film par an, trois pour la seule année 2022 – pour un cinéaste kazakh évoluant dans le circuit d’auteur. «discipline vient du fait que je n’ai presque pas de moyens, explique-t-il, et je sais pertinemment que je ne pourrai pas refaire certaines prises. Au Kazakhstan comme partout, les films qui ont le plus de succès sont les purs produits commerciaux. Ce n’est pas ce que je fais. Les auteurs sont condamnés à survivre, chacun à sa façon.»


Le cinéma de Yerzhanov met une ironie féroce à exposer la corruption qui gangrène les instances du Kazakhstan, et l’on se demande forcément comment le réalisateur s’entend avec les autorités de tutelle. «’est en effet l’état qui subventionne le cinéma d’auteur, reconnaît-il. Je fais mes films en partie avec des fonds privés, en partie avec des aides publiques. Ce qui peut sembler paradoxal, c’est que l’état s’est fixé pour objectif d’éradiquer la corruption, ce qui rend en un sens acceptable la dénonciation qui en est faite dans mes films. Ça n’en reste pas moins chaque fois un peu délicat: je ne ferai certainement pas carrière dans les services publics! Je vais donc continuer à faire du cinéma, en en conservant la teneur critique, même si mon but n’est absolument pas de noircir mon pays.»


Le Monde, Mathieu Macheret, 15 juillet 2023

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