ENTRETIEN avec le RÉALISATEUR
Le réalisateur allemand Thomas Stuber explique à Cineuropa comment il a fait passer de la page à l'écran l'histoire d'Une valse dans les allées, en compétition auFestival de Berlin, et souligne combien le fait qu'une histoire soit racontée par un narrateur ajoute de la mélancolie à l'ensemble.
Cineuropa: Quand avez-vous découvert la nouvelle de Clemens Meyer ?
Thomas Stuber : Je l'ai lue pour la première fois il y a huit ou neuf ans. Une valse dans les allées faisait partie d'un recueil de nouvelles. La nouvelle ne fait que 25 pages et elle est très épurée mais l'histoire a tellement de profondeur et une telle atmosphère que j'ai voulu en faire un film car elle m'a vraiment fait beaucoup d'effet. L’idée de cet homme solitaire qui se fond dans les allées d’un supermarché ne me quittait pas. Le bruit de l’autoroute près de l’aire de chargement, la pause cigarette, la machine à café, le gérant de nuit qui serre la main à tout le monde à la fin du service… L’histoire de Clemens Meyer est profonde et tragique, mais il y a beaucoup de non-dits. Le lecteur, et désormais le spectateur, doivent rassembler tous les indices. Ce film, c’est l’amour et la mort au supermarché.
C.: A-t-il été difficile transformer vingt-cinq pages en un film qui dure plus de deux heures ?
Th St.: Adapter cette histoire pour en faire un film a été une opération intéressante et difficile pour Clemens et moi. Bien sûr, d'un côté c'est facile, parce qu'on a déjà quelque chose d'écrit qu'on n'a pas à inventer mais d'un autre côté, ce n'est pas de la littérature classique, ce n'est pas un roman. J'ai relu la nouvelle, il y a deux jours et j'ai été surpris de constater comme nous avons bien couvert ce qui était déjà dans le texte. Un passage de deux lignes est devenu trois scènes de 14 minutes en tout. C'est le noyau, tout est là. Nous avons parlé de chaque thème et de chaque image, et nous les avons en quelque sorte laissé se dérouler.
C.: On sent ici l'influence de Wes Anderson, Roy Andersson et Aki Kaurismäki. Avez-vous essayé de leur rendre hommage dans ce film ?
Th St.: Bien sûr. Je regarde beaucoup de films, sans me limiter à un genre. Je m'intéresse à tout, et je pense que la manière dont une histoire prend vie à l'écran dépend vraiment de l'histoire. Si vous regardez mon film précédent, A Heavy Heart, il est complètement différent : il a été tourné caméra à l'épaule et il est très naturel, sans aucun aspect magique. Ici, j'ai pensé qu'il fallait faire quelque chose de complètement différent. Passionné par Andersson et Kaurismäki, j'ai revu leurs films. La solitude est un motif très important dans mon cinéma. Pour Kaurismäki aussi, il me semble, et j'adore la manière dont il combine ça avec de l'amour. C'est pour ça que ses films sont si formidables.
C.: Pourquoi avez-vous décidé de faire usage d'une voix-off dans le film ?
Th St.: J'ai toujours voulu créer un film où on a l'impression que l'histoire nous est narrée. Je ne voulais pas faire un film qui donnerait l'impression que l'histoire se passe au moment où on la regarde. Pour moi, le but d'un procédé dans le style "laissez-moi vous raconter une histoire qui m'est arrivée", c'est qu'il vous communique toujours une sorte de mélancolie – parce que c'est fini, que c'est déjà du passé, et que c'est toujours différent de se rappeler un moment et de le vivre dans le présent. Les images qu'on en garde ont bougé, parfois elles différent de ce qui s'est vraiment passé. J'ai trouvé que ça collerait bien avec le réalisme magique du film, et la narration sert aussi de contraste: au début, elle ne semble pas coller avec le personnage de Christian, qui ne parle pas beaucoup, mais pour moi, elle était très importante parce que ce qu'il dit est très intelligent. Je ne voulais pas que quiconque puisse penser que Christian est stupide.
Cineuropa: Interview réalisée par Kaleem Aftab
Extraits critiques