ENTRETIEN avec la RÉALISATRICE
L’histoire du film est inspirée de votre propre enfance. Pensez-vous que cela a rendu l’écriture et la réalisation plus faciles ou au contraire plus difficiles ?
J’ai raconté mon histoire tant de fois qu’elle est devenue pour moi une sorte de légende. Ces événements me sont réellement arrivés, mais j’ai l’impression qu’ils sortent tout droit d’un conte. Mes souvenirs, mes histoires de famille, mon imaginaire... tout cela s’est mélangé dans mon esprit quand j’ai commencé à écrire le scénario. C’est sans doute pour cette raison que le premier jet m’est venu aussi facilement. Je n’ai eu qu’à coucher sur le papier toutes les images qui m’habitaient. Par contre, j’ai eu plus de mal à trouver la bonne structure pour les agencer. J’ai finalement choisi de conserver cette impression de « tranches de vie », ces petits moments qui, assemblés les uns avec les autres, dressent un portrait assez juste de mon premier été avec ma nouvelle famille. Parfois, je me suis demandé ce qui pouvait bien me pousser à raconter des choses aussi personnelles, mais en terminant le scénario, j’ai compris que ce processus m’avait beaucoup appris sur ma propre famille, car l’écriture m’a forcée à considérer mon histoire du point de vue de chaque personnage. Durant le tournage, j’ai ressenti le besoin de prendre de la distance vis-à-vis de mon passé. Si je voulais des interprétations réalistes, je ne pouvais pas reproduire les événements exactement comme dans mes souvenirs ou dans les images que je m’étais fabriquées avec le temps. Dans un film, c’est la réalité qui prime, et je pense que le réel est toujours plus intéressant que tout ce qu’on peut imaginer. Mais ce compromis entre la réalité du tournage et mes images mentales a été difficile à trouver. De même, quand on réalise un film, il faut toujours privilégier des éléments de l’histoire au détriment de certains autres. Chaque souvenir avait une signification particulière liée à mon enfance, mais les acteurs m’ont aidée à faire la part des choses.
Les parents de Frida sont morts du sida. Était-ce un problème répandu à cette époque en Espagne ?
La transition démocratique a été une période heureuse en Espagne, synonyme d’ouverture, de liberté et de renouveau. Mais cette soudaine liberté s’est accompagnée d’une grande consommation de drogues. Au milieu des années 1980, les médias ont commencé à parler d’une
« crise de l’héroïne », qui a entraîné une hausse des contaminations par le VIH. Les médicaments antirétroviraux ne sont arrivés qu’en 1994, il était déjà trop tard pour la plupart des gens de cette génération, y compris mes parents. Au début des années 1990, près de 21 000 personnes sont mortes du sida en Espagne, qui était alors le pays d’Europe le plus durement frappé par l’épidémie. À travers ce contexte, je montre qu’il ne s’agit pas seule-ment de mon histoire, mais aussi de celle de la génération de mes parents, qui a vécu la transition, et de celle de ma propre génération, qui en a subi les conséquences.
Quel a été le plus grand défi à relever dans votre travail avec les enfants ?
Travailler avec des enfants n’est pas une mince affaire, mais c’était aussi l’un des aspects les plus enrichissants du tournage. Les enfants sont vrais: si on leur laisse assez de liberté, on voit tout de suite quand quelque chose fonctionne ou pas. Les enfants comprennent très bien ce qui se trame derrière chaque scène. Laia (Frida) et Paula (Anna) ont une créativité sans limites. Laia joue d’instinct, elle ressent le rythme, l’humeur d’une scène, et elle s’adapte très bien à l’interprétation des autres acteurs. Paula est très intelligente et elle a une excellente mémoire, elle peut donc rester elle-même pendant une prise et faire exactement ce que je lui demande au bon moment. J’ai passé beaucoup de temps avec les filles et les acteurs avant le tournage.. Nous avons fait de très longues improvisations, ils ont fait semblant d’être une famille pendant des jours, et cela a certainement rendu leur interprétation plus authentique.
Diriez-vous que le film invite le spectateur à réfléchir à ses propres relations familiales ?
Je l’espère. Une famille est une famille. Un père est un père, une mère est une mère, un fils est un fils, une fille est une fille et une sœur est une sœur. On ne se pose pas de questions sur ces relations, elles vont de soi, puisque nous les comprenons et nous les vivons comme telles. Cependant, pour Frida et sa nouvelle famille, les choses ne sont pas si simples... Eté 93 est une réflexion sur l’évidence des relations familiales à travers l’observation d’une famille qui doit se reconstruire. Soudain, un oncle, une tante et une cousine doivent devenir un père, une mère et une sœur. Du jour au lendemain, ces personnes doivent former une nouvelle famille et créer, ou transformer, leurs relations existantes. Frida doit trouver sa place dans la famille, Marga et Esteve doivent apprendre à l’aimer comme si elle était leur enfant, et Anna doit accepter d’avoir une grande sœur. J’espère que le film aidera les spectateurs à se rappeler l’importance de ces relations fondamentales, et à les apprécier davantage.
Dossier de presse
Extraits critiques